Montmartre par Sophie Bassouls

Infection VIH : Pourquoi s’intéresser aux troubles cognitifs ?

22 juin 2016 | Editos

Infection VIH : Pourquoi s’intéresser aux troubles cognitifs ? par le Docteur Gilles FORCENeurotrope, le virus VIH est retrouvé dès la primo-infection au sein du Système Nerveux Central (SNC). Malgré l’obtention d’une charge virale plasmatique indétectable, la diffusion des antirétroviraux (ARV) à travers la barrière hémato-encéphalique est inégale selon les traitements, et peut ainsi expliquer la persistance d’une réplication dans le compartiment cérébral chez certains patients. Cette infection persistante, ainsi que les conséquences cérébrales des comorbidités liées à l’âge, sont les explications des troubles cognitifs chez les personnes vivant avec le VIH (Rapport Morlat 2013, 158-162). Avec la survie prolongée des patients, des études estiment que 30 à 50% des patients de plus de 50 ans présentent des troubles cognitifs (Cohen et al, Alz Res Ther 2015 ; Valcour et al, Top Antivir Med 2013).

Les comorbidités à l’origine de troubles cognitifs chez les patients VIH sont surtout la maladie vasculaire et ses facteurs favorisants: diabète, dyslipidémies, syndrome métabolique, HTA, apnée du sommeil, tabagisme ; les autres facteurs de risque sont une charge VIH non contrôlée (échappement ou mauvaise observance), un antécédent de traumatisme crânien ou d’infection opportuniste cérébrale, un antécédent de lymphocytes CD4 <200/mm3, une co-infection par l’hépatite C, une neurosyphilis, ou bien la prise de produits qui diminuent les performances (benzodiazépines, alcool, drogues,…), une hypothyroïdie ou une carence en vitamine B.

Mais doit-on s’inquiéter des troubles cognitifs lorsqu’ils sont évidents ou bien minimes ? Evidents, le patient n’est peut-être plus capable d’être autonome pour certains actes de vie quotidienne, et il sera bien compliqué d’améliorer ne serait-ce que son observance par exemple. Minimes en apparence, les explorations proposées font parfois découvrir des anomalies plus significatives qu’au prime abord.

Qui dépister ? Les patients qui se plaignent de troubles cognitifs, ceux avec facteurs de risque, les plus de 50 ans, ainsi que les personnes infectées depuis plus de 15 ans.  Quels tests utiliser pour dépister ? Les plus simples d’utilisation sont la BREF, le HIV Dementia Scale modifié, et le MOCA. Sous forme d’auto-questionnaires seront renseignés la plainte cognitive, les activités de la vie quotidienne, une dépression. Certains patients expriment une plainte mais répondent correctement aux tests, il ne s’agissait que d’une crainte ; d’autres ont des résultats inverses car non conscients de leurs troubles, ils doivent être explorés. Enfin, plus les scores de dépression sont importants, plus les tests neuropsychologiques seront ininterprétables, il faut les différer : la prise en charge de la dépression est alors la priorité. Lorsqu’un patient a une dépression minime avec des tests de dépistage en anomalie, des explorations spécialisées sont proposées : IRM cérébrale, batterie de tests évaluant au moins 5 domaines cognitifs, exploration du liquide céphalo-rachidien (LCR). L’IRM et l’exploration du LCR permettent d’éliminer d’autres diagnostics que le VIH. L’exploration neuropsychologique va permettre de classifier les troubles du patient selon leur intensité (Antinori et al, Neurology 2007): Déficit Cognitif Asymptomatique, Trouble Cognitif Mineur ou Démence Associée au VIH. Pour contrôler l’évolution d’un patient et éviter un phénomène d’apprentissage, il faut mettre un an de distance entre 2 mêmes batteries.

Quelles prises en charge proposer au patient avec troubles cognitifs ? Il faut avant tout contrôler le VIH dans le sang, et si le virus est présent dans le LCR adapter le traitement; si besoin traiter les autres causes de trouble cognitif : syphilis, hépatite C, hypothyroïdie, carence en B12, éliminer le plus possible les toxiques, dépister et traiter une apnée du sommeil ; diminuer les risques vasculaires : favoriser l’arrêt du tabac, traiter HTA et diabète, recommander une activité physique, limiter le sel le sucre et les graisses ; les thérapies cognitives des orthophonistes ou neuropsychologues peuvent aussi améliorer les performances.

Quels traitements antirétroviraux privilégier en présence de troubles cognitifs? Les recommandations européennes privilégient les ARV dont la diffusion vers le LCR est meilleure, mais peu de molécules ont prouvé une efficacité clinique. J’ai présenté une étude d’intensification au congrès CROI à Boston en Février 2016 chez 31 patients sous traitement ARV efficace avec troubles cognitifs confirmés: un changement des traitements pour une combinaison diffusant mieux vers le LCR a entraîné une amélioration significative des troubles cognitifs. De même, l’étude INMIND aux USA tente de valider qu’un renfort thérapeutique pourrait améliorer les troubles cognitifs. Ainsi, la tendance est aujourd’hui de traiter avec les ARV diffusant le mieux vers le LCR.

Quels liens entre troubles cognitifs et marqueurs biologiques ? Le VIH reste présent au niveau du SNC au sein de macrophages, avec élévation de marqueurs associés non dosés en routine. Le marqueur le plus étudié aujourd’hui est NFL (Neurofilament Light Chain), un marqueur de destruction des neurones, il est corrélé aux troubles cognitifs (Gisslen et al, eBiomedicine 2016). D’autres marqueurs plus courants sont associés au déclin cognitif, l’élévation du cholestérol et de sa fraction LDL, la diminution du HDL-cholestérol, attestant que la maladie vasculaire fait partie du tableau de l’encéphalopathie associée au VIH.

Ainsi en 2016, les patients infectés par le VIH ont une survie très prolongée avec des traitements toujours mieux tolérés et plus faciles à suivre, mais il ne faudrait pas que cette qualité de vie soit grevée par des troubles cognitifs passés inaperçus ou négligés. Les dépister aujourd’hui, c’est améliorer nos connaissances sur la physiopathologie de cette encéphalopathie, c’est donner la possibilité à nos patients de continuer à vivre toujours plus longtemps avec le minimum de gêne cognitive. Ces démarches cliniques sont d’autant plus importantes que des progrès significatifs sont effectués en neurobiologie.

Docteur Gilles FORCE, Médecine Interne
IHFB, 4 rue Kléber, 92300 LEVALLOIS-PERRET

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