Montmartre par Sophie Bassouls

Une santé pour tous à l’exception de ceux nés à l’étranger ?

12 février 2024 | Editos

En vertu du droit international, les personnes migrantes ont des droits en raison de leur humanité. Le droit à la santé et à sa protection est un droit fondamental inaliénable explicitement inscrit dans plusieurs textes internationaux, européens et nationaux ratifiés par la France, à commencer par notre constitution. Sa garantie est également une obligation légale pour nous soignants (code de la déontologie) et un devoir éthique.

Pourtant, au nom de la lutte contre l’immigration, la société d’aujourd’hui voudrait nous pousser à altérer ce fondement en inscrivant dans la loi une restriction du droit à la santé pour les étrangers sans papiers ou arrivés récemment en France. L’Aide Médicale de l’État (AME) est dans ce contexte de nouveau attaquée. À la suite du vote de la loi immigration par le Sénat en novembre 2023 proposant la réduction de l’AME en Aide Médicale d’Urgence (AMU), la première ministre a missionné deux personnalités politiques, Claude Evin et Patrick Stefanini, pour élaborer un rapport sur l’AME. Ces derniers ont auditionné plusieurs acteurs de santé et associations et ont rendu public leur rapport début décembre 2023. La réforme de l’AME a finalement été retirée de la loi immigration tout en faisant l’objet d’un accord politique prévoyant sa réforme début 2024. La portée du rapport Evin-Stefanini est donc important car il sera le point de départ des discussions de la réforme annoncée. Ce dernier conforte l’intérêt du maintien de l’AME, tout en proposant de réduire à nouveau les soins couverts (via l’instauration de délais de carence) et en proposant d’augmenter les contrôles et la complexité pour y recourir, en contradiction avec le constat de non-recours massif objectivé par l’enquête Premiers pas. Dans le même temps, la loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » qui a été votée et promulguée le 26 janvier, acte un durcissement des conditions d’accès et de renouvellement du droit au séjour, et facilite l’éloignement des sans-papiers s’étant vus délivrés une obligation de quitter le territoire français (1).

Ces reculs législatifs et ce contexte sociétal voyant la montée des extrêmes et la légitimation de la préférence nationale posent la question du positionnement des soignants. Ces derniers semblent faire corps pour la défense de l’AME comme en témoignent le nombre élevé et les origines diverses des signataires des tribunes appelant à sa défense (2-3). C’est aussi le cas des sociétés savantes qui ont été nombreuses à signer le communiqué de presse inter-sociétés savantes pour sa défense, ainsi que du monde du VIH fédéré autour du collectif des 10 choix politiques pour mettre fin au VIH (4-5). En effet, le maintien d’un accès aux soins pour tous correspond aux valeurs de la majorité des soignants, fait écho aux valeurs d’égalité et de fraternité de la France et est la condition du recul de l’épidémie du VIH. Nous resterons donc mobilisé pour défendre le droit à une couverture maladie et aux soins.

Les signataires étaient moins nombreux pour défendre le droit au séjour étranger malade (6). En effet, il est perçu par une partie des soignants comme une voie de régularisation de personnes migrantes sans papiers. Pourtant, beaucoup ignorent qu’il bénéficie à très peu de personnes (de l’ordre de 40 000 personnes sur 67 000 000 d’habitants, et moins de 5% des nouveaux titres de séjours accordés chaque année), et que la majorité des bénéficiaires vit en France et est régularisée depuis de nombreuses années, le plus souvent bien intégrés, travaillant et cotisant. Ainsi, la loi immigration menaçait de plonger dans l’irrégularité du séjour des personnes bien intégrées risquant par ricochet de perdent leur emploi, leurs aides sociales, pour certains leur logement, reproduisant la spirale de la précarité. L’enquête ANRS Parcours 2012-2013 avait d’ailleurs bien identifié la fragilité de ce droit au séjour non pérenne, freinant l’accès à la carte de résident. Heureusement, l’article voté a été retoqué par le conseil constitutionnel et n’est donc pas entré en vigueur. On observe cependant de plus en plus de refus de délivrance ou de renouvellement de titres de séjours étrangers malade, réalité sur laquelle le groupe Migrants et populations vulnérables de la SPILF et de la SFLS lance un travail de recensement afin d’en réaliser une analyse plus précise.

Ainsi, on ne peut que souhaiter pour cette nouvelle année que les soignants restent unis et fidèles à leurs valeurs d’universalité et de respect des droits de l’homme, tout en se mobilisant pour la réduction des inégalités sociales de santé qui impactent les plus vulnérables.

Pr Nicolas Vignier

Hôpital Avicenne / Université Sorbonne Paris Nord

 

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